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Réseaux associatifs et médias civiques : comment les associations créent et utilisent des outils de réseau pour la participation démocratique

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Appel à projets : recherche sur le fait associatif

Dates du projet : juin 2020 – mai 2022

Mots clés : numérique, participation démocratique, COVID-19

Mieux comprendre les recours et les effets des outils numériques sur les associations pour la participation démocratique

Les associations qui luttent pour l’environnement et la justice sociale, habituées à un travail de terrain et à la présence physique de leurs membres lors de réunions ou d’actions, sont traversées et durablement transformées par la révolution numérique, et cela plus encore depuis la pandémie de COVID-19. La crise sanitaire a notamment précipité le recours à de nombreux outils numériques par les associations, comme en témoignent l’utilisation de plus en plus systématique de plateformes de vidéo conférence et de messagerie privée, mais aussi l’utilisation des plateformes de réseaux sociaux  pour informer et influencer la société civile et les acteurs publics et financiers.

Ces usages ne sont pas sans effet sur le fonctionnement, l’identité et l’intégrité des associations. Ils transforment les pratiques démocratiques au sein des associations, tout en participant à l’émergence d’une culture participative liée à la présence du monde associatif sur les réseaux sociaux. Dans ce contexte, les associations adaptent leurs pratiques et discours aux codes et limitations de ces plateformes.

Il est alors nécessaire d’interroger la conception et la mise à disposition de logiciels libres et participatifs assurant le bon fonctionnement de ces organisations. 

Le rôle des outils de communication en ligne dans la vie associative

Importance du présentiel et frustration liée à la communication en ligne dans la vie associative

Cette étude révèle l’importance pour les associations de s’organiser en présentiel mais également leur frustration face à la communication en ligne. En effet, les réunions en personne sont considérées comme cruciales pour renforcer la confiance et la résilience collective. Lors de la crise sanitaire, les réunions en ligne ont souvent réduit la participation des membres, même si les organisations plus anciennes ont eu tendance à avoir moins de difficulté pour retenir leurs membres et à maintenir leur rythme de travail pendant le confinement.

Les réseaux sociaux : un mal nécessaire

La gestion des outils de communications numériques est souvent perçue comme une corvée chronophage. Les réseaux sociaux constituent un « mal nécessaire », un outil que les associations sont obligées d’utiliser, principalement à des fins de visibilité pour faire connaître leurs actions et événements, ou pour leurs campagnes d’information et de sensibilisation.

Communication en ligne et dynamiques de pouvoir

L’utilisation des plateformes de communication en ligne pendant la crise sanitaire a parfois mis à jour ou provoqué des problèmes de pouvoir, et ce en raison du petit nombre de membres qui devenaient responsables des décisions en matière de communication et/ou qui géraient l’accès aux plateformes (Facebook, etc.) ou aux listes de courriels.

Les questions d’usabilité et de sécurité au cœur des usages numériques

Un problème récurrent rencontré par beaucoup d’associations est le dilemme « sécurité contre utilisabilité ». De nombreux groupes, en particulier ceux qui travaillent avec des populations vulnérables et à haut risque savent qu’il est important d’utiliser des outils numériques alternatifs, à code source ouvert, qui ne tirent pas profit de la collecte de données et qui préservent donc la vie privée des utilisateurs. Cependant, l’adoption de ces outils n’est pas toujours chose facile, notamment pour les personnes plus âgées et peu familières des outils numériques. Les outils alternatifs sont souvent moins intuitifs pour les utilisateurs habitués aux les interfaces classiques (produits Apple, Facebook, Microsoft), qui privilégient la facilité d’utilisation plutôt que le respect de la vie privée.

La mise en place de formations et de mentorat pour les membres qui sont moins à l’aise avec les outils numériques de manière générale, et avec les outils alternatifs en particulier, présente une première piste pour faciliter l’adoption de ces nouveaux outils.

Les limites de la conception d’outils alternatifs

Pour lever les limites des outils numériques les plus répandus, des logiciels alternatifs peuvent être conçus. Dans le contexte associatif, les designers manquent toutefois de soutien matériel et organisationnel. Ils sont souvent bénévoles, et donc de courte durée et sont souvent abandonnés. En outre, les projets eux-mêmes ne disposent pas d’un budget d’équipement ou de matériel suffisant, ce qui peut entraîner des problèmes de viabilité et de durabilité de l’outil lui-même. Enfin, la nature souvent éphémère de certaines formes de vie associative (mouvements sociaux, groupes qui se forment pour répondre à un besoin impérieux dans des circonstances d’urgence) contredit les besoins d’un temps long dans les processus de design et pour la maintenance.

Lors de la conception d’outils, il est important que les ingénieurs prennent en compte les valeurs politiques et sociales de leurs utilisateurs et conçoivent des outils en conséquence, puisqu’ils construisent des objets qui peuvent, dans un certain sens, façonner la vie de l’association. Or, les prises de décisions lors du design d’un tel outil peuvent s’avérer très lentes, si bien que la vitesse avec laquelle les outils sont construits peut devenir beaucoup plus lente que le fonctionnement du mouvement lui-même.

Recommandations aux associations

Les réseaux sociaux

Les usages peuvent être améliorés par une prise de conscience des problèmes de confidentialité de données, intrinsèques à de nombreuses plateformes de réseaux sociaux, qui fonctionnent selon un modèle financier dépendant de la collecte des données et des métadonnées des utilisateurs. Un usage prudent des images et des noms sur ces plateformes est de mise, et il est préférable de créer des comptes spécifiquement ouverts pour l’association plutôt que d’utiliser des comptes privés au nom de membres individuels.

Il est également important pour les associations de reconnaître le fait que les réseaux sociaux ne permettent pas d’atteindre tous les publics, ou même n’atteignent pas souvent de nouveaux publics, notamment en raison des algorithmes de tri destinés à recommander plus aux utilisateurs « de la même chose », c’est-à-dire un contenu sélectionné en fonction de leur activité préalable. La création de podcast, la collaboration avec des journalistes, ou encore le collage d’affiches sont d’autres moyens de sensibiliser le public à ses actions ou à sa cause.

Il peut être utile de suivre des formations à l’utilisation prudente des réseaux sociaux ou, au minimum, se pencher sur des outils et des conseils déjà existants qui peuvent aider à cet égard : on citera ceux de Tactical Tech, de l’Electronic Frontier Foundation ou de La Quadrature du Net.

Les communications internes

Idéalement, les associations pourraient investir du temps pour migrer leurs opérations vers des outils et des serveurs sécurisés appartenant à des organisations de confiance. Elles pourraient également former leurs membres à l’utilisation d’outils sécurisés et aux pratiques qui garantissent la protection de leurs données. Les associations et les groupes les plus récents auront plus de facilité à effectuer cette transition, tandis que les groupes plus anciens, qui disposent déjà de flux de travail numériques souvent conséquents, devront y consacrer beaucoup plus de temps.

Une seconde difficulté porte sur un aspect social : les utilisateurs qui ont moins de connaissances techniques se sentent exclus et frustrés par la migration de leurs outils traditionnels vers un espace numérique, et y résistent souvent. Cet aspect doit être pris au sérieux. Il faut d’abord consacrer du temps et de l’attention pour expliquer en quoi l’utilisation d’outils qui sont conçus à but non lucratif et respectueux des droits de l’homme est importante, à la fois pour agir en accord avec les principes de l’association mais aussi pour protéger leur capacité à poursuivre leurs activités. Ensuite, il faut consacrer du temps et de l’attention à la formation et au soutien à l’utilisation et à l’adoption de ces nouveaux outils.

Un second problème qui se pose parfois en interne autour de l’utilisation des outils numériques est un problème lié à la hiérarchisation des pouvoirs et la responsabilité éditoriale, souvent endossée par celles et ceux qui gèrent les comptes. Dans cette « ère numérique », les organisations doivent reconnaître que les décisions relatives aux données et au contenus numériques sont des décisions relatives à l’organisation, à l’accès des membres, au message porté et à la vision du groupe, et que ces pratiques numériques nécessitent des structures et des processus organisationnels dédiés.

Les besoins en outils des associations

L’étude révèle que les associations ont besoin des outils suivants :

 

  • Des plateformes de réseaux sociaux pour le partage d’idées et de relations plus sécurisées et avec une modération du contenu conforme à des missions prédéfinies par les associations
  • Des plateformes collaboratives et de prise de décision qui soutiennent mieux les discussions et qui permettent, pour des groupes plus importants, différentes formes de votes
  • Des outils de cartographie qui préservent la vie privée
  • Des plateformes (avec cartographies intégrées) pour le partage des compétences et des ressources
  • Des outils de vidéoconférence préservant la vie privée et permettant la traduction simultanée. De même, des outils de messagerie et de chaines de sms groupées qui préservent la confidentialité et permettent un accès facile à la traduction
  • Des mots de passe et autres protocoles de contrôle d’accès aux comptes ou aux plateformes pouvant être distribués à travers tout le groupe, plutôt que liés à un seul nom d’utilisateur

Pour aller plus loin sur la conception de nouveaux outils

Priorité à la facilité d’utilisation et à l’expérience de l’utilisateur

De nombreux groupes ont du mal à intégrer des outils alternatifs dans leur flux de travail numérique parce qu’il est difficile de s’y adapter. Ce problème d’adoption aux outils alternatifs est une occasion pour les designers de travailler avec les associations pour créer des outils qui aident réellement les utilisateurs et leurs missions

L’expérience utilisateur, ou la facilité d’utilisation, est généralement la dernière étape du processus de conception. Les outils numériques plus traditionnels à but lucratif – qui s’appuient sur un grand nombre d’utilisateurs et une pratique addictive – consacrent beaucoup d’efforts et d’argent à cette étape cruciale, même si l’outil qu’ils proposent n’est par ailleurs pas particulièrement bien conçu. Les outils de logiciels libres et en open-source consacrent souvent beaucoup moins d’efforts à cette étape, en partie parce qu’ils manquent de ressources en termes de temps et d’argent, et en partie parce qu’il s’agit parfois davantage de « projets personnels  » qui ne sont pas nécessairement destinés à une large adoption par les utilisateurs. Cet aspect doit changer si l’on veut que les avantages de ces outils soient plus justement répartis.

Soutenir la conception participative et renforcer le flux de travail

De même, de meilleures structures de collaboration doivent exister pour soutenir le dialogue et les échanges entre la vie associative et la conception numérique. Lorsque les ingénieurs travaillent en étroite collaboration avec une communauté d’utilisateurs, ils deviennent plus conscients de questions telles que celles qui sont liées à l’expérience utilisateur. Ils sont ainsi en mesure de formuler des exigences plus précises en fonction des communautés qu’ils espèrent soutenir. Dans le même sens, lorsque les groupes associatifs intègrent des ingénieurs dans leur communauté, ceux-ci sont plus à même d’offrir un design et une stratégie numérique de meilleure qualité, adaptés aux missions de l’association. Les projets d’ingénierie pourront se développer sur une plus longue durée, au rythme des phases itératives de tests avec le groupe.

Enfin, il convient de consacrer du temps et de l’attention aux aspects de soutien ou du « travail reproductif » du travail numérique. Le travail nécessaire à la constitution d’équipes, à la communication entre utilisateurs et ingénieurs et, surtout, à la maintenance, à la correction et à la mise à jour des outils numériques au fur et à mesure que des bogues sont découverts, doit être pris en compte. Et ce d’autant plus si l’on considère que le matériel vieillit et que les normes industrielles – ainsi que les priorités et les besoins organisationnels – se développent.

Présentation de l’équipe

Jessica Feldman

Jessica Feldman

Enseignante-chercheuse, Civic Media Lab, Université américaine de Paris et Digital Civil Society Lab of the Center for Philanthropy and Civil Society, Université de Stanford

Noémie Oxley

Noémie Oxley

Enseignante-chercheuse, CRAL, EHESS, Université américaine de Paris

Envie d’aller plus loin ? Retrouvez les valorisations issues de la recherche

Article

Crise sanitaire : statégies et limites de la vie associative en ligne, Jessica Feldman, Noémie Oxley, JurisAssociations, n°631, p. 27 (2021)

Conférence

Numérique : un enjeu d’éducation populaire, Noémie Oxley, Rencontre Projep #8 (2022)

Article

Engineering for deliberative democracy, Jessica Feldman, Participo (2020)

Article

Article

Communication dans un colloque

COLBAC : Shifting Cybersecurity from Hierarchical to Horizontal Designs, Kevin Gallagher, Santiago Torres-Arias, Nasir Memon, Jessica Feldman, New Security Paradigms Workshop (2021)

Podcast

What makes an open source project “critical digital infrastructure?”, Argyri Panezi, Jessica Feldman, Digital infrastructure podcast (2021)

Webinaire

Society of Fellows and Heyman Center for the Humanities, Jessica Feldman (2022) 

Article

 The Associative Life, Activism, and the Use of Digital Tools during the Pandemic, Jessica Feldman, Noémie Oxley, Digital Culture and Society (2022)

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