Modèles socio-économiques et création de valeur : éclairer les spécificités et apports associatifs
Cet atelier a permis de partager et de discuter des résultats du groupe de travail « modèles socio-économiques et création de valeur » conduit par l’Institut français du Monde associatif.
En introduction, Yannick Blanc a rappelé l’historique de l’émergence du concept de modèles socio-économiques (MSE) associatifs, dépassant la simple approche financière des modèles économiques, en intégrant notamment la place des richesses humaines, salariées et bénévoles, et les stratégies de coopérations et d’alliances (cf. travaux du RAMEAU). Parallèlement, un mouvement de réflexion a émergé, connecté à celui sur les MSE, sur la façon de mesurer la valeur créée par les associations en dépassant les critères de valorisation purement financiers.
C’est à partir de ces difficultés à nourrir le dialogue, la négociation et parfois le rapport de forces entre les associations et les pouvoirs publics qui les financent, que l’institut a décidé de lancer un groupe exploratoire acteurs-chercheurs sur les différentes ressources mobilisées par les associations, et sur la façon dont ces ressources, leurs modes d’actions et leur existence même dans le tissu social sont créateurs de valeur.
Olivier Palluault a développé le concept de coopération, qui est un des trois piliers des modèles socio-économiques associatifs. La coopération n’est pas à comprendre ici comme le modèle coopératif, ou comme une coopération entre soi. Elle n’est pas non plus une collaboration de travail. La coopération est la capacité d’acteurs hétérogènes (associations, autres acteurs de l’ESS, acteurs publics, entreprises) à se projeter ensemble à travers une vision politique et à construire un modèle ou une dynamique sociale.
Trois points viennent éclairer la place de la coopération dans les MSE des associations.
- Tout d’abord, les associations sont les seules au sein de leur écosystème à déployer un rôle hybride à travers une capacité à proposer des produits et services, mais aussi à changer les normes culturelles et à mobiliser de l’engagement citoyen. Cette richesse unique de leur rôle au sein d’une coopération d’acteurs va leur permettre d’intervenir aux interstices des rôles des autres acteurs et de produire des dispositifs collectifs de mise en action.
- Ensuite, la coopération permet aux associations de mobiliser un ensemble d’acteurs en appui à sa finalité sociétale, comme elle le fait avec l’engagement bénévole.
- Enfin, la coopération nous fait changer de paradigme sur la question de la valeur. Elle substitue à un système de captation de la valeur – cher à l’innovation technologique – qui attribue la valeur à ceux qui la créent, un système de distribution et de partage de la valeur.
Elena Lasida est ensuite intervenue sur la valeur, en commençant par en partager la définition de John Dewey, pour qui la valeur est ce à quoi l’on tient, avant d’évoquer la contrainte de la mesure de l’impact. En effet, l’approche méthodologique associative est aujourd’hui principalement marquée par l’évaluation de l’impact, souvent considérée par les associations comme une contrainte à travers laquelle on doit justifier de ses résultats pour pouvoir accéder à des financements. Les associations sont de plus en plus nombreuses à se demander comment elles peuvent sortir de cette contrainte.
Pour répondre à ces enjeux de connaissance, le groupe de travail conduit par l’Institut a mené à trois pistes de changement de regard dans l’approche de l’évaluation.
- Tout d’abord, comment penser la valeur au-delà des simples effets et résultats de l’action, mais aussi à travers l’ensemble des processus associatifs, qui sont aussi des processus d’expérimentation, et qui vont mobiliser des manières de faire, des choix de MSE, ou encore des modalités de gouvernance.
- Ensuite, comment peut-on poser la valeur pas uniquement en termes d’efficacité, de productivité et d’objectifs à atteindre, mais aussi en termes d’identité ? Qu’est-ce qui se dit de notre valeur au-delà de ce que l’on fait, à travers ce que l’on est ?
- Enfin, comment passer d’une logique de contrôle de l’atteinte des objectifs à l’apprentissage collectif de qui s’est révélé tout au long du processus, au-delà justement de ce que l’on attendait ?
Yannick Blanc a poursuivi l’atelier en revenant sur les travaux de la Fonda sur les chaînes de valeur appliquées à l’utilité sociale. Ces travaux ont d’abord mis à jour que la valeur créée dans un système coopératif résulte d’un ensemble d’interactions entre l’ensemble des parties prenantes du système. Ils ont également permis d’appliquer l’analyse des coûts et bénéfices de chaque maillon de la chaîne de valeur au contexte de l’utilité sociale, en appelant à compléter une analyse purement financière par d’autres méthodes rendant compte de la valeur sociétale non valorisable d’un point de vue monétaire. C’est bien aussi dans le prolongement de ces travaux de la Fonda que s’est inscrit le groupe de travail de l’Institut.
Caroline Germain a conclu l’atelier en évoquant l’innovation sociale et sociétale comme une spécificité associative. Le groupe de travail conduit par l’Institut a mis à jour quatre éléments importants concernant l’innovation associative.
- Tout d’abord, les mécaniques de financement à l’œuvre, en particulier les logiques d’appels d’offres, font que la capacité d’initiative des associations à travers les subventions se tarit.
- A partir de là, quelles nouvelles logiques d’investissement pourraient être inventées pour continuer d’innover ? Comment aller plus loin sur les modèles socio-économiques de l’innovation et mettre en place des cadres de R&D qui leur soient favorables ? Comment en particulier autoriser à aller au-delà du résultat, à sortir de l’injonction à impact, et à investir dans des innovations permettant de ne pas simplement aboutir à des résultats mais aussi à des valeurs qui dépassent ce qu’on avait projeté initialement ?
- Dans ces nouveaux cadres, le levier des coopérations est apparu comme une composante centrale des MSE de l’innovation.
- En abordant une approche de la valeur qui ne se limite pas aux résultats attendus, les nouvelles formes d’innovation interrogent également le droit à l’erreur et à l’expérimentation.
GG
Intervenants et modérateur :
Yannick Blanc
Président de l'Institut français du Monde associatif (modérateur)
Elena Lasida
Docteure en Sciences Sociales et Economiques et Présidente du Groupe de recherche-action sur l'évaluation de l'utilité sociale, Institut Catholique de Paris
Olivier Palluault
Dirigeant, Ellyx
Caroline Germain
Trésorière de l'Institut français du Monde Associatif
Institut français du Monde associatif
1 Rue Dr Fleury Pierre Papillon, 69100 Villeurbanne